Nacrym's gift

La princesse au petit pinceau


Il était une fois, dans une contrée lointaine, une princesse qui n'avait aucune qualité : c'est du moins ce qu'on disait d'elle.
Elle ne savait pas la musique, ignorait la borderie, boudait l'art de la conversation, quand au chant, elle ne voulait pas en entendre parler.  Pour ce qui est de sa mise, si elle acceptait que ses domestiques l'habillent lors des grandes cérémonies, dans sa vie de tous les jours elle allait vêtue comme un cerf.
On disait souvent que cette princesse se moquait aussi bien de la cour que de son pays. Mais c'était faux, elle aimait le royaume dans lequel elle était née. Ses montagnes, ses vallées, ses lacs et ses rivières, ses petits villages aux toits de chaume tout comme les murailles étincelantes du château, elle les chérissait de tout son cœur. Quand à la cour, comme elle aimait l'observer ! Les mises pleines de richesse ne lui allaient pas, pensait-elle, mais elle ne pouvait s'empêcher d'admirer ses courtisans les porter. Mais par-dessus tout, il y avait quelque chose qu'elle aimait au point de délaisser tous les arts princiers : dessiner ces hauts personnages de la cour, dans leur tenue d'apparat, se livrant au jeu de la séduction et de l'apparence. Certains se livraient à de vraies mises en scène, faisant voler leurs robes et onduler leurs cheveux sous un vent imaginaire que la princesse se plaisait à imiter de ses crayons et de ses pinceaux, dans lesquels elle mettait toujours toute son âme.
Un jour, un Roi-renard qui avait entendu parler de son talent vint à la cour. Aussitôt, ne se sentant plus de joie devant un aussi beau personnage, la princesse le dessina. Et lorsque le Roi demanda à voir son portrait, impressionné par la justesse du trait et l'harmonie des courbes, il fit à la princesse une demande : il lui demanda de peindre son épouse la Reine-corbeau, appelée ainsi car réputée de mauvais caractère, et bien moins belle que son époux. Mais la princesse accepta avec joie. Elle mit tout son art, tout son amour pour le dessin dans cette toile. La Reine-corbeau posa selon sa demande, sur un fond de forêt verdoyante, dans sa plus belle robe aux détails si infimes et si nombreux, aux drapés et pans de tissus multiples et si enchevêtrés qu'on la disait impossible à reproduire. Mais la princesse peint la plus discrète des gemmes, le plus petit des motifs et le plus subtil des plis du somptueux vêtement. Le sourire de la Reine-corbeau était doux et noble, son visage magnifié semblait paisible, ses mains fines et blanches mettaient en valeur le tissu sombre de la robe, si bien représenté qu'on pouvait en ressentir la douceur rien qu'en l'effleurant du regard. C'était sans aucun doute un chef d'œuvre.
Lorsque l'œuvre fut enfin achevée, le Roi et la Reine furent si impressionnés par la beauté et la magnificence incroyables du portrait qu'ils le placèrent dans le grand hall de leur palais, là où tous les princes, grands ou petits, pourraient l'admirer. Ils parlèrent du talent de la princesse dans tous les royaumes voisins, et chaque monarque vint bientôt lui demander à son tour de le représenter. La princesse ne refusa pas une seule fois, et se surpassait à chacune de ses toiles. Un empereur arborant l'emblème du tigre ne vit jamais les couleurs du noble animal plus vives et chaudes que sur sa peinture. Une princesse dont on disait les cheveux plus majestueux qu'à nulle autre ne les vit jamais plus beaux que dans les volutes que la princesse leur avait inspirés. Pour un prince, elle eut l'idée de faire flotter ses cheveux longs et fins dans une eau calme à la lumière turquoise. Elle ajouta à la composition quelques fleurs colorées, et le résultat fut d'une telle beauté qu'il surpassait la réalité. Bientôt la princesse fut reconnue partout où elle allait pour son talent inimité.
Puis, lorsque vint le jour de son anniversaire, on lui offrit un voyage dans un royaume mythique, où ne vivaient que des artistes. Dessinateurs, peintres, sculpteurs, poètes et couturiers, tous se rassemblaient en ce lieu sacré pour se montrer leurs œuvres, les commenter, les récompenser ou les critiquer et apprendre les uns des autres afin d'améliorer leur art.
Lorsque la princesse arriva, tous la reconnurent et s'approchèrent pour lui remettre un présent. Tous disaient "J'admire ton portrait de la Reine-corbeau, j'espère que ce dessin te fera plaisir." "Je n'ai pas ton talent, mais j'ai quand même fait ce petit quelque chose. J'aime beaucoup ce que tu fais." "Continue comme ça, chacune de tes toiles est meilleure que la précédente." Au milieu d'eux se trouvait une poétesse. Elle s'avança timidement et dit :

Voilà, princesse, l'histoire que vous m'avez inspirée.
Je n'ai pas le talent de dessiner ton portrait, ni celui de déclamer en vers la beauté de tes couleurs et de tes traits, mais j'espère que ce conte t'aura fait passer un bon moment.
Joyeux Anniversaire,
Nacrym
^x^

~Ezi, 22 février 2010